Thomas Hellman raconte l’Amérique

Québecois d’origine texane et niçoise, Thomas Hellman multiplie les projets depuis quelques années en privilégiant son attrait pour l’histoire américaine. Dans son spectacle, il porte une attention particulière aux années 30. Celui-ci est pluri-disciplinaire, c’est ce qui le rend atypique et passionnant.

 

Votre carrière est très riche, vous multipliez les projets en France. Avec le temps, avez-vous cette envie de vous diversifier ? Ou est-ce une forme de lassitude vis à vis de la musique au sens propre ?

Il y a 8 ans, j’ai reçu une bourse du Conseil des arts du Canada pour aller passer 9 mois à la Cité des arts de Paris.
C’était une bourse pour composer, mais je ne composais plus rien. Je jouais très peu de musique et je n’en écoutais plus du tout. Je vivais une sorte de lassitude vis à vis de la chanson… J’ai été contacté par la radio de Radio-Canada pour faire des chroniques sur mes découvertes musicales. Mais comme je ne faisais rien à part lire et flâner, j’ai commencé à enregistrer les sons qui m’entouraient, et à raconter mes promenades en superposant mes histoires aux sons de la ville et à la musique que j’enregistrais avec les moyens du bord au piano, à la guitare, au banjo… J’avais un plaisir fou à raconter, comme ça, dans un format à mi chemin entre le récit, la nouvelle radiophonique, la chanson. Ça a été le début de ma carrière comme chroniqueur radio, mais aussi comme écrivain. Et puis je me suis lancé dans toutes sortes d’autres projets: composition pour le cinéma et le théâtre, écriture d’essais, de nouvelles, de poèmes, musique pour enfants, conférences… Toutes ces activités se nourrissaient les unes les autres. Et puis j’en suis arrivé à créer « Rêves américains », un spectacle à mi chemin entre le conte, le théâtre et le concert.

© Mathieu Rivard

La littérature est rarement liée à la musique si ce n’est par la poésie. Comment est né votre projet « Rêves américains » avec Olaf Gundel et Sage Reynolds ?

Le projet est né d’une série de chroniques que j’ai fait entre 2012 et 2014 pour Radio-Canada sur l’histoire de la musique américaine pendant la grande crise des années 30. J’ai découvert des personnages extraordinaires, des magnifiques chansons oubliées, des anecdotes historiques incroyables. Surtout, j’ai vu à quel point l’histoire de cette époque pouvait nous parler alors que nous traversons notre propre époque de crise. J’ai décidé d’en faire un spectacle.

Sur scène, j’incarne des personnages : Frank H Mayer, le chasseur de bison,; John Henry qui a fait la course contre l’infernale machine qui menaçait de remplacer les travailleurs du chemin de fer; Leon Ray Livingstone, le roi de ces vagabonds du rail qu’on appelait les hobos… Je chante des vieilles chansons américaines que j’adapte en français, je raconte des anecdotes historiques. J’ai aussi mis en musique des extraits d’œuvres littéraires, comme « Les raisins de la colère » de John Steinbeck ou « Walden » de Henry David Thoreau… Et je mélange tout ça à des anecdotes de ma propre famille américaine, de ma grand-mère surtout, qui me parlait de la crise quand j’étais petit et me chantait des chansons sur son banjo avec sa voix rauque teintée de cigares et de whisky.

Je travaille depuis le début avec les même musiciens : Olaf Gundel, qui joue banjo, guitare, dulcimer, percussions, piano, et Sage Reynolds à la contrebasse. On chante tous les trois. Les musiciens ne sont pas que des accompagnateurs, ils font partie intégrante du spectacle. Ils jouent des personnages aussi !

De l’histoire en musique, pensez-vous que le message puisse passer plus facilement ?

La musique folk est un moyen privilégié pour accéder à l’histoire des petites gens que la grande histoire ignore trop souvent. C’est une musique issue des classes défavorisées, des laisser pour compte, et puis elle nait d’un besoin : celui de donner un sens à la souffrance. Je crois que c’est ce qui lui donne autant de force : c’est une musique pleine de noirceur et pourtant elle est lumineuse, elle donne envie de danser, de taper du pied. Donc, oui, raconter en musique c’est un moyen pour accéder à une autre dimension de l’histoire. La musique permet d’exprimer des émotions que les mots ne peuvent atteindre. Mais je ne cherche pas à donner un cour d’histoire. Ce serait impossible, d’ailleurs, de résumer près de 90 ans d’histoire dans un spectacle d’une heure et demi… Ce qui m’intéresse, c’est plonger dans l’histoire pour réfléchir artistiquement à notre propre époque.

N’est-ce pas finalement une méthode pédagogique qui pourrait (devrait) se développer dans les écoles ?

Je présente assez souvent des conférences-concerts où je parle de musique, d’histoire de littérature en ponctuant mon propos de chansons. Je n’ai jamais pensé que ça pourrait être une méthode pédagogique, mais pourquoi pas !

Qu’est-ce qui vous intéresse dans l’histoire américaine et plus particulièrement au début du 20ème siècle

J’ai choisi d’articuler mon projet autour de la ruée vers l’or et la grande crise parce qu’il y a quelque chose de mythologique dans cette histoire qui va de la conquête de l’Ouest, avec tout l’espoir et l’euphorie qui l’accompagne jusqu’à la grande dépression, où le rêve s’écroule. Ce mouvement à quelque chose d’universel, d’intemporel et de profondément humain : c’est celui de toute une société mais ce pourrait être celui de n’importe lequel d’entre nous. Une traversée du désert, une plongée dans la noirceur qui émerge dans la lumière… Le spectacle se termine par un gospel remplit d’espoir.

Selon vous, les américains sont-ils encore trop attachés à ces années de succès ? Ils ont tenté par la suite de retrouver cette réussite avec le pétrole notamment.

J’ai écrit “Rêves américain” avant l’arrivée de Trump, mais je me rends compte que, d’une certaine manière, il est au cœur du spectacle : Trump est une sorte de réincarnation de l’archétype du chercheur d’or pilleur et conquérant… C’est un pur produit américain, et je crois que son élection a beaucoup à voir avec la nostalgie de certains américains pour l’Ouest mythologique, ce pays sauvage (plus rêvé que réel) où tout était encore possible, où tout restait à conquérir, et où les seules valeurs qui comptaient étaient celles du courage, du pouvoir, de la force et de l’argent. Trump incarne cette Amérique qui pille, conquiert, domine, et tourne le dos au reste du monde après lui avoir fait un doigt d’honneur. Cette Amérique est présente dans mon spectacle. Et une autre aussi: celle de la nature, des grands espaces, de la contemplation, évoquée par Thoreau dans son livre « Walden ».

Qu’est-ce que l’Amérique a de plus que le reste du monde ? Et de moins ?

J’aime la phrase de Leonard Cohen dans “Democracy” où il dit que l’Amérique est “the cradle of the best, and of the worst”. Berceau du meilleur et aussi du pire.

En comparaison avec les québecois. Selon vous, le public français attache t-il une importance aussi forte à l’histoire américaine ?

Je constate beaucoup d’intérêt, peut-être même plus qu’au Canada. Parce que chez nous, c’est une histoire familière. En France, il semble y avoir une fascination pour le nouveau monde. Et la fascination est mutuelle d’ailleurs. On a qu’à penser à tous ces auteurs américains qui sont venus en France…

On vous classe entre le blues et le folk, quelles sont vos diverses influences ? Viennent t-elles de votre double-culture ?

Mon père est américain, originaire du Texas. Ma mère est française de Nice. J’ai grandi et je vis toujours au Québec. Mes influences se situent à la frontière de ces trois cultures. C’est pourquoi j’ai grandi en écoutant le vieux folk américain, Woody Guthrie, Jimmie Rodgers, Hank Williams, et puis la chanson française et québécoise. Je me suis intéressé à la littérature américaine et française. En fait j’ai étudié les deux à l’université. Et puis j’adore la littérature québécoise. C’est un milieu que je connais bien, peut-être encore mieux que celui de la musique.

Quels sont les artistes qui vous ont donné envie de faire de la musique ?

J’ai été surtout influencé par les auteurs-compositeurs qui accordent beaucoup d’influence au texte: Tom Waits, Leonard Cohen, Richard Desjardins, Jacques Brel…

Un mot pour le public nantais qui viendra vous voir le 20 mars ?

C’est un honneur de venir jouer pour vous !

 

Thomas Hellman « Rêves américains »
Mardi 20 mars à La Bouche d’air
eclats-francophones.com

© Propos recueillis par Alban Chainon-Crossouard